CellOpéra!

  1. PIOTR ILITCH TCHAÏKOVSKI (1840-1893) Eugene Onegin, Air du Prince Gremin (Lyubvi fse vozrastï pokornï)
  2. ANDRÉ GAGNON (1936-2020) Nelligan, Le Vaisseau d’or
  3. GABRIEL FAURÉ (1845-1924) Trois mélodies Op.7, No. 1, Après un rêve
  4. LUDWIG VAN BEETHOVEN (1770-1827) 7 Variations sur Bei Männern, welche Liebe fühlen (sur un air de La Flûte enchantée de Mozart)
  5. GEORGE GERSHWIN (1898-1937) Porgy and Bess, Summertime
  6. WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791) Die Zauberflöte, Air de La reine de la nuit (Der Hölle Rache)
  7. LÉO DELIBES (1836-1891) Lakmé, Duo des fleurs
  8. GIACOMO PUCCINI (1858-1924) Gianni Schicchi, O mio babbino caro
  9. VINCENZO BELLINI (1801-1835) Norma, Casta diva
  10. GAETANO DONIZETTI (1797-1848) L’elisir d’amore, Una furtiva lagrima
  11. RICHARD WAGNER (1813-1883) Tannhäuser, O du, mein holder Abendstern

Piotr Ilich Tchaikovsky: Eugene Onegin Air du Prince Gremin (Lyubvi fse vozrastï pokornï)

Notes (par Michel-Alexandre Broekaert)

Avant de devenir le sujet d’un opéra de Tchaikovsky, l’histoire d’ Eugene Onegin était déjà bien connue en Russie et au-delà de ses frontières, grâce au roman éponyme d'Alexandre Pouchkine. Le livret de l’opéra, élaboré par le compositeur lui-même, s’inspire fortement du roman et trouve sa force dans la profondeur du développement psychologique des personnages centraux ainsi que dans le regard incisif et sans complaisance porté sur la société de l’époque. 

C’est au cœur de cet opéra sombre et mélancolique que l’on retrouve la scène de l’Air du Prince Gremin, ode au bonheur et à la puissance de l’amour qui ne connaît pas d’âge. Elle prend place au milieu d’un bal de la haute société de Saint-Pétersbourg, à la fin du 18e siècle. Eugene Onegin, après de nombreuses années d’exil, songe à la vacuité de son existence et est torturé par ses actions passées. Il reconnait parmi les invités,Tatyana, une voisine d’antan sur laquelle il avait jadis levé le nez, mais la voici transformée, élégante et altière. Envoûté, Onegin tente de n’en rien laisser paraître pendant que le mari de la dame, ancien ami proche et nul autre que le prince Gremin lui-même, se lance spontanément dans une déclaration d’amour débridée.  

Celui-ci baigne dans le bonheur depuis son union avec Tatyana et ne tarit pas de partager sa félicité. Espoir renouvelé, enthousiasme retrouvé, c’est ainsi qu’il la compare à un ange venu le secourir de sa morosité, tel un rayon de soleil dans la brume de son existence. 

Un moment de grâce dans cet opéra à la charge dramatique oppressante. 

Livret

L'amour ne respecte pas l'âge,
ses transports bénissent aussi bien
ceux qui sont dans la fleur de la jeunesse
qui ne connaissent pas encore le monde
et le guerrier à la tête grise
tempéré par l'expérience!
Onéguine, je ne cacherai pas le fait que
que j'aime Tatiana à la folie!
Ma vie s'éloignait moralement ;
elle est apparue et l'a égayée
comme un rayon de soleil dans un ciel orageux,
et m'a apporté la vie et la jeunesse, oui, la jeunesse et le bonheur!
Parmi ces enfants sournois, pauvres d'esprit,
ces enfants insensés et gâtés,
ces crapules à la fois absurdes et ennuyeuses,
ces arbitres ternes et frondeurs,
parmi les coquettes pieuses
et les esclaves flagorneurs,
au milieu de l'hypocrisie affable et modérée
des infidélités courtoises et affectueuses,
au milieu de la censure glacée
de la vanité au cœur cruel,
au milieu de la vexante vacuité
du calcul, de la pensée et de la conversation,
elle brille comme une étoile
à l'heure la plus sombre de la nuit, dans un ciel pur et clair,
et pour moi, elle apparaît toujours
dans le radieux
radieux nimbe d'un ange!

André Gagnon: Nelligan, Le Vaisseau d’or

Notes (par Noémie Raymond-Friset)

Joyau de la musique opératique québécoise, nous devions inclure à cet album le Vaisseau d’or de l’opéra Nelligan d’André Gagnon. En effet, Nelligan occupe une place de choix dans l’histoire des opéras québécois. Il a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations, ce dont peu d’auteurs d'œuvres lyriques québécoises peuvent s’enorgueillir.

Basé sur un livret de Michel Tremblay, il a été tour à tour qualifié de drame musical, d’opéra romantique ou de comédie musicale (sa présentation ayant été assurée le plus souvent par des chanteurs de musique populaire). L'œuvre, créée en 1990, a jusqu’ici été présentée cinq fois dans les salles du Québec et a rencontré chaque fois la faveur du public.  

Cet air empli de drame et de nostalgie clôt l’opéra. Émile, vieux et cloîtré à l’asile, se remémore sa vie et dialogue avec une version plus jeune de lui-même. Il se rappelle et chante son poème le plus célèbre. La musique émouvante nous emporte alors dans l’abîme de la tourmente d’Émile Nelligan et de son Vaisseau d’or. 

Cet air emblématique, immortalisé par le ténor québécois Marc Hervieux et par la réunion des vers déchirants d’Émile Nelligan et de la musique poignante d’André Gagnon, s’affirme comme l’une des plus grandes réussites lyriques québécoises.  

Livret

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve!

Gabriel Fauré: Trois mélodies Op.7, No.1, Après un rêve

Notes (par Michel-Alexandre Broekaert)

Après un rêve est la mise en musique d’un poème de Romain Bussine. Il s’agit de l’une des mélodies les plus populaires de Gabriel Fauré, et pour cause. Emblématique du style romantique et accessible qui caractérise ses œuvres de jeunesse, elle se distingue par sa ligne mélodique souple et lumineuse, soutenue par des harmonies enveloppantes et profondément évocatrices.

L'œuvre a été maintes fois adaptée pour diverses formations instrumentales, ce qui a grandement contribué à sa notoriété. Ici adaptée au violoncelle, la pièce ne perd rien de son pouvoir suggestif, bien au contraire : on se laisse aisément emporter par le mariage heureux des timbres, alors que nos pensées s’évadent vers l’univers onirique des songes.  

Avec l’album CellOpéra!, nous avons pris le parti de présenter des adaptations d’airs d’opéra à la formation violoncelle-piano. L’introduction d’une humble mélodie constitue une légère entorse à notre concept unificateur, mais nous nous sommes permis cette heureuse exception, car d’une part, l’atmosphère de cette œuvre charmante s’arrime tout naturellement à celle de notre album. D’autre part, celle-ci a déclenché chez nous l’idée d’explorer l’univers fastueux de l’opéra, regorgeant de mélodies extraordinaires et d’histoires captivantes. 

Livret

Dans un sommeil que charmait ton image

Je rêvais le bonheur, ardent mirage,

Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore,

Tu rayonnais comme un ciel éclairé par l’aurore;

Tu m’appelais et je quittais la terre

Pour m’enfuir avec toi vers la lumière,

Les cieux pour nous entr’ouvraient leurs nues,

Splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues.

Hélas! hélas, triste réveil des songes,

Je t’appelle, ô nuit, rends-moi tes mensonges;

Reviens, reviens, radieuse,

Reviens, ô nuit mystérieuse!

Ludwig van Beethoven, Variations « Bei Männern welche Liebe fuhlen », air de l’opéra « La flûte enchantée » de Mozart

Notes (par Michel-Alexandre Broekaert)

Beethoven nourrissait une grande admiration pour Mozart, de quatorze ans son aîné. Ses nombreux opéras le fascinaient particulièrement et cette fascination mena à l’écriture de quatre cycles de variations pour diverses instrumentations. Le cycle qui nous intéresse ici fut inspiré de l’opéra La flûte enchantée, auquel Beethoven venait d’assister à Vienne, en 1801. C’est donc l'œuvre d’un jeune Beethoven encore pétri d’humour et de tendresse, autant de traits de personnalité qui émanent de ce thème et variations tout en finesse et en bonhomie.

L’aria originale est un duo chanté par Pamina, la fille de la Reine de la Nuit, et Papageno, un oiseleur. Signifiant « chez les hommes qui connaissent le sentiment amoureux », il porte aux nues l’idée de l’amour, lui conférant toutes les vertus:  

« Nous voulons chanter la joie de l'amour,  

nous ne vivons que d'amour. 

L'amour adoucit toute douleur,  

Toute la création est dédiée à l'amour. 

Il donne du sel à chaque jour de notre vie 

et fait tourner la roue de la nature. » 

Ce thème intemporel qu’est l’amour, porté par la maestria beethovénienne, assure la pérennité de cette œuvre remplie de surprises et de moments de beauté.  

Livret

Pamina:
Chez les hommes qui ressentent l'amour,
ne manquent pas non plus d'un bon cœur.
Papageno:
Aimer qui l'aime pour la femme,
est alors son premier devoir.
Ensemble:
Nous voulons nous réjouir de l'amour,
nous vivons par l'amour seul.
Pamina:
L'amour adoucit tous les maux,
Tout être lui doit son tribut.
Papageno:
Il assaisonne les jours de notre vie,
Il agit au sein de la nature.
Ensemble:
Son but élevé indique clairement :
Rien n'est plus noble que l'homme et la femme.
L'homme et la femme, la femme et l'homme,
s'étendent jusqu'à la divinité.

George Gershwin: Porgy and Bess, Summertime

Notes (par Michel-Alexandre Broekaert)

Summertime est l’une des mélodies les plus populaires de tous les temps et figure au tout début du célèbre opéra de George Gershwin, Porgy & Bess, révélé au public américain en 1935. À la base, elle était destinée à être interprétée par une chanteuse de formation classique, ce qui n’empêcha pas une multitude d’artistes d’autres genres musicaux de se l’approprier. On pense d’emblée à la version de référence créée par Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, ou encore à la première adaptation jazz de la pièce par la légendaire Billie Holiday, enregistrée seulement un an après la création de l’opéra.

Pour se préparer à son écriture, Gershwin fit ses devoirs et passa l’été de 1934 dans le sud des États-Unis, près de Charleston. Cette expérience authentique lui permit de développer un style typiquement américain, synthèse de la musique classique occidentale et du folklore afro-américain, qui se distingue par ses rythmes et idiomes propres, cristallisés dans les fameux Spirituals, et bien sûr, dans le jazz. Il en résulte un opéra unique et saisissant dont le fleuron est sans nul doute Summertime, berceuse chantée par une mère à son enfant et qui sera reprise plusieurs fois dans l’opéra, Gershwin en faisant ainsi la chanson-thème de son oeuvre. Les paroles de la célèbre mélodie sont attribuées à une collaboration entre Ira Gershwin, frère du compositeur, et DuBose Hayward, dont le roman Porgy, écrit de concert avec sa femme Dorothy, fut l’inspiration première de Porgy & Bess. Le géant de Broadway, Stephen Sondheim, a déclaré que les paroles de Summertime étaient parmi les plus réussies et évocatrices du répertoire.

La version proposée sur cet album confie la célèbre ballade au timbre enveloppant du violoncelle, restaurant ainsi le caractère mélancolique et lancinant de la version originale. 

Livret

Mois d'été,
Que la vie est douce
Les poissons bondissent
et le coton pousse

Oh, ton père est fortuné
et ta mère élégante
dodo l'enfant do
cesse tes larmes

Un de ces matins
tu te lèveras en chantant
Et tu déploieras tes ailes
Pour t'envoler vers le ciel

Mais en attendant ce moment
Rien ne peut te faire de mal
tant qu'il y aura papa et maman à tes côtés

Mois d'été,
Que la vie est douce
Les poissons bondissent
et le coton pousse

Oh, ton père est fortuné
et ta mère élégante
dodo l'enfant do
cesse tes larmes

Wolfgang Amadeus Mozart: La flûte enchantée (Die Zauberflöte), Der Hölle Rache

Notes (par Alexander Koutelias)

L'attrait de la comédie et le poids du drame ; la fraîcheur d'un nouvel engouement romantique et le mépris d'un amour non partagé ; la chaleur des Lumières et la froideur des Ténèbres. La célèbre Flûte enchantée de Mozart aborde avec aisance de nombreux éléments contradictoires de l'expérience humaine, pertinents tant dans l'Autriche des Lumières du XVIIIe siècle que dans le monde actuel. L'opéra se déroule dans un lieu mythique non européen, à une époque lointaine.

Dans cette aria, deuxième tour de force de virtuosité vocale de la Reine de la Nuit, celle-ci exige que sa fille Pamina tue son rival, le sage et bienveillant Sarastro. Lorsque sa mère lui remet un poignard en ricanant de rage, elle se sent en conflit avec la gentillesse dont Sarastro a fait preuve à son égard. La Reine de la Nuit menace Pamina, déclarant que sa désobéissance entraînera son désaveu et que, quoi qu'il arrive, Sarastro mourra. Cet air aux trilles et aux sauts vocaux d'une intensité vertigineuse est l'un des extraits d'opéra les plus populaires de tous les temps. 

Livret

Une vengeance infernale brûle dans mon cœur;
La mort et le désespoir flamboient autour de moi!
Si Sarastro ne meurt pas de tes mains,
Tu ne seras plus ma fille! Tu seras répudiée à jamais,
Abandonnée à jamais,
À jamais seront rompus entre nous
Tous les liens de la nature,
Si Sarastro ne périt pas de tes mains!

Entendez! Entendez! Entendez, Dieux de
Vengeance!

Entendez le serment d'une mère!

Léo Delibes: Lakmé, Duo des fleurs

Notes (par Michel-Alexandre Broekaert)

Le Duo des Fleurs fait partie de ces airs dont on ne se lasse jamais. C’est dans les premiers instants de l’opéra Lakmé qu’on le retrouve et son charme onirique opère à tout coup. Cet opéra reste d’ailleurs l’une des seules œuvres du compositeur français Léo Delibes encore jouées, et pour cause. La musique est enivrante, luxuriante et colorée; elle prête à la rêverie et à l’évasion vers des univers exotiques.

L’histoire relate la funeste rencontre de Lakmé, prêtresse brahmane, et de Gérald, officier anglais; le tout se déroule dans une Inde sublimée, à l’ère coloniale au XIXe siècle. L’inévitable choc des cultures mènera les deux amoureux vers une fin tragique, avec en toile de fond les thèmes de la vengeance, de l’honneur et des passions destructrices.

Le Duo des fleurs est une cantilène partagée entre Lakmé et sa servante Mallika, alors qu’elles se trouvent aux abords d’un ruisseau enchanteur pour y cueillir des fleurs. C’est un moment d’une grande délicatesse qui dépeint à merveille la tranquillité intérieure qui anime les protagonistes à ce moment de l’histoire.

Livret

Lakmé:
Viens, Mallika, les lianes en fleurs
Jettent déjà leur ombre
Sur le ruisseau sacré qui coule, calme et sombre,
Eveillé par le chant des oiseaux tapageurs!

Mallika:
Oh! maîtresse,
C'est l'heure ou je te vois sourire,
L'heure bénie où je puis lire
dans le c'ur toujours fermé de Lakmé!

Lakmé [En duo avec Mallika]:
Dôme épais le jasmin,
A la rose s'assemble,
Rive en fleurs frais matin,
Nous appellent ensemble.
Ah! glissons en suivant
Le courant fuyant:
Dans l'on de frémissante,
D'une main nonchalante,
Gagnons le bord,
Où l'oiseau chante, l'oiseau, l'oiseau chante.
Dôme épais, blanc jasmin,
Nous appellent ensemble!

Mallika:
Sous le dôme épais, où le blanc jasmin
A la rose s'assemble,
Sur la rive en fleurs riant au matin,
Viens, descendons ensemble.
Doucement glissons
De son flot charmant
Suivons le courant fuyant:
Dans l'on de frémissante,
D'une main nonchalante,
Viens, gagnons le bord,
Où la source dort
Et l'oiseau, l'oiseau chante.
Sous le dôme épais,
Sous le blanc jasmin,
Ah! descendons ensemble!

Lakmé:
Mais, je ne sais quelle crainte subite,
S'empare de moi,
Quand mon père va seul à leur ville maudite;
Je tremble, je tremble d'effroi!

Mallika:
Pourquoi le Dieu Ganeça le protège,
Jusqu'à l'étang où s'ébattent joyeux
Les cygnes aux ailes de neige,
Allons cueillir les lotus bleus.

Lakmé:
Oui, près des cygnes aux ailes de neige,
Allons cueillir les lotus bleus.

Lakmé [En Duo avec Mallika]:
Dôme épais le jasmin,
A la rose s'assemble,
Rive en fleurs frais matin,
Nous appellent ensemble.
Ah! glissons en suivant
Le courant fuyant:
Dans l'on de frémissante,
D'une main nonchalante,
Gagnons le bord,
Où l'oiseau chante, l'oiseau, l'oiseau chante.
Dôme épais, blanc jasmin,
Nous appellent ensemble!

Mallika:
Sous le dôme épais, où le blanc jasmin
A la rose s'assemble,
Sur la rive en fleurs riant au matin,
Viens, descendons ensemble.
Doucement glissons
De son flot charmant
Suivons le courant fuyant:
Dans l'on de frémissante,
D'une main nonchalante,
Viens, gagnons le bord,
Où la source dort
Et l'oiseau, l'oiseau chante.
Sous le dôme épais,
Sous le blanc jasmin,
Ah! descendons ensemble!

Puccini: “O mio babbino caro” de Gianni Schicchi

Notes (par Alexander Koutelias)

Bien que certains prétendent que cette aria est romantique, il faut dire que peu d'œuvres populaires d'opéra sont plus mal contextualisées que cette aria de supplication.  

En 1299, dans la république de Florence, la jeune et belle Lauretta supplie son père, l'intrigant Gianni Schicchi, de lui donner la main de son bien-aimé, le jeune et beau Rinuccio. Ce dernier a amené Gianni Schicchi au cœur d'une affaire familiale des plus secrètes : l’absence d’héritage laissé à la famille de Rinuccio dans le testament de l’aîné de la famille, le pieux Buoso Donati. Alors que la plupart des membres de la famille ne veulent rien savoir de l'infâme Schicchi, Rinuccio pense qu’il est la seule personne suffisamment rusée pour les aider à sortir de ce bourbier testamentaire et pour arranger son mariage avec Lauretta.  

O mio babbino caro, le solo de trois minutes de Lauretta implorant son père, constitue une pause musicale et dramatique appréciée dans le va-et-vient rapide des coups de gueule d'une famille qui s'entredéchire par cupidité.

Livret

Ô mon petit papa chéri,
Il me plaît, il est beau, il est beau.
Je veux aller à Porta-Rossa
Pour acheter l'alliance!

Oui, oui, je veux y aller!
Et si je l'aime en vain,
J'irai sur le Ponte-Vecchio,
Mais pour me jeter dans l'Arno!

Je me languis et je me tourmente!
Ô Dieu, je voudrais mourir!
Papa, pitié, pitié!
Papa, pitié, pitié!

 Vincenzo Bellini: Norma, Casta Diva

Notes (par Alexander Koutelias)

L'occupation de la Gaule par les Romains vient de commencer. Le peuple gaulois, adepte du druidisme, se tourne vers son chef Oroveso et sa fille, la grande prêtresse Norma, pour les protéger de ces envahisseurs à la culture étrangère. Oroveso assure à son peuple que Norma, grâce à son aura prophétique, incitera les âmes des délégués romains à accepter une paix juste.  

À l'insu de tous sauf de sa collègue prêtresse Adalgisa, Norma avait par le passé abandonné ses vœux sacrés de chasteté et engendré deux enfants. Le père de ces derniers est le Romain Pollione, lequel vient d'être nommé proconsul de Gaule. Et voilà qu'Adalgisa tombe amoureuse de Pollione, créant ainsi un triangle amoureux enflammé entre les deux prêtresses druidiques et le gouverneur militaire romain occupant. Peut-on en attendre moins d'une intrigue d'opéra?  

Au moment où le public entend la cavatine enchanteresse de Norma Casta diva, le feu du triangle amoureux et la rage des opprimés s'éteignent temporairement. Pendant que Norma tient respectueusement une branche de gui, se tenant au-dessus des autres druides, une flûte mélodieuse s'élève de l'orchestre. Norma chante alors, s'adressant à la lune en tant que « chaste déesse », lui demandant, dans toute sa beauté et son zèle, d'apporter à la terre une paix qui reflète celle du ciel. Cette aria pourrait être une onomatopée musicale de l'intention de prière de Norma, car la beauté pure de cette musique évoque la paix spirituelle et temporelle.  

Il n'est pas étonnant alors qu'Oroveso pense que Norma peut utiliser son pouvoir prophétique pour apporter la paix au peuple gaulois. 

Livret

Norma:
Chaste déesse, qui couvres d'argent
ces antiques arbres sacrés,
tourne vers nous ton beau visage
sans nuages et sans voiles.

Oroveso et Choeur:
Casta Diva...

Norma:
Modère, ô Déesse,
modère des coeurs enflammés
modère à nouveau l'audacieux enthousiasme.
Répands sur la terre cette paix
que tu fais régner dans le ciel.

Oroveso et Choeur:
Ô Déesse, répands sur la terre
cette paix que tu fais
régner dans le ciel.

Norma:
Que s'achève le rite
et que le bois sacré
soit évacué par les non-initiés.
Lorsque la sombre divinité en colère
réclamera le sang des Romains,
depuis le sanctuaire druidique
ma voix tonnera.

Oroveso et Choeur:
Qu'elle tonne,
et que pas un seul de ces impies
n'échappe à ce juste massacre.
Et en premier lieu, frappé par nos mains,
le Proconsul sera abattu.

Norma:
Il sera abattu:
je peux le punir,
mais je n'ai pas le coeur à le punir.

Ah! Je me souviens avec bonheur
de ton fidèle amour de naguère,
et contre le monde entier
je serai ta défense.
Ah! Je me souviens avec bonheur
de ton regard serein,
et je trouverai en ton sein la vie,
et ma patrie et mon paradis.

Oroveso et Choeur:
Tu tardes, oui, tu tardes,
ô jour de la vengeance.
Mais tu approches par l'effet du dieu courroucé
qui a condamné le Tibre.

Norma:
Ah! reviens encore tel que tu étais alors,
lorsque je t'ai donné mon coeur.
Ah, reviens à moi tel que tu étais!

Oroveso et Choeur:
Ô jour!
Ô jour, tu approches par l'effet du dieu
courroucé
qui a condamné le Tibre.

 Donizetti: L’Elisir d’amore, Una furtiva lagrima

Notes (par Alexander Koutelias)

Le sincère mais simplet Nemorino est l'un des personnages les plus attachants de cet opéra : on ne peut s'empêcher de le soutenir dans toutes les situations alors qu'il tente de courtiser Adina, une riche propriétaire terrienne, éduquée et insensible. L’action se déroule dans le décor pastoral luxuriant de la campagne espagnole de la fin du XVIIIe siècle. Afin de pouvoir acheter une seconde bouteille d'un philtre d'amour (en réalité une bouteille de vin bon marché vendue par le charlatan ambulant Dulcamara), Nemorino s'engage dans l'armée pour recevoir une prime d'inscription : un sac de pièces d’or. Le rival qui lui dispute le cœur d'Adina, le suave sergent Belcore, est plus qu'heureux de recruter Nemorino dans l'armée afin de le faire sortir du village. 

Lorsqu'Adina voit Nemorino entouré d'un groupe de femmes et ivre après avoir bu le philtre d'amour, elle s'enfuit, laissant Nemorino affligé, se demandant pourquoi le philtre d'amour fonctionne sur toutes les femmes sauf Adina. En réalité, toutes les femmes du village, hormis Adina, viennent d'apprendre que Nemorino a hérité de son oncle une somme importante, un fait qu’il ignore encore. 

Dans son état de tristesse et d'ébriété, il repense à la « larme furtive » qu'il a cru voir dans l'œil d'Adina avant qu'elle ne disparaisse, ce qui, selon lui, symbolise l'amour qu'elle lui porte au plus profond d'elle-même. Désemparé de constater que le philtre d'amour n'agit pas sur elle et qu'il va devoir quitter le village avec l'armée, dépassé par ces personnages fourbes, Nemorino chante sa douleur avec une émotion brute et authentique, teintée de couleurs rustiques. Cette « larme furtive » signifierait-elle qu'ils pourraient enfin tomber amoureux ? Peut-être que le philtre d'amour fonctionne après tout ? 

Livret

Une astuce à la déchirure
Dans ses yeux cue:
Ces jeunes gens festifs
Envy me semble.
Quoi d'autre je cherche?
Quoi d'autre je cherche?
Elle m'aime! S? il m'aime, je le vois, je le vois.
Un seul instant les palpitations
De sa belle sensation de coeur!
Mon soupir, confondre
Presque à son soupir!
Les palpitations, les palpitations se sentent,
Confondez le mien avec son soupir
Dieu, vous pouvez en mourir!
Plus Je ne demande pas, Je ne demande pas.
Ah! Ciel, tu peux, tu peux mourir,
Plus Je ne demande pas, Je ne demande pas.
Tu peux mourir, tu peux mourir d'amour.

  Richard Wagner: Tannhäuser, O du, mein holder Abenstern

Notes (par Noémie Raymond-Friset)

Dans cet opéra essentiellement basé sur l’opposition entre l’amour sacré et l’amour profane, Wagner nous emporte dans une épopée médiévale aux saveurs philosophiques, où l’amour chaste et chevaleresque offre une rédemption à la passion charnelle. 

Au XIIIe siècle, près d’Eisenach au cœur de l’Allemagne se trouve le chevalier Tannhäuser, prisonnier de la déesse Vénus et de ses charmes envoûtants. Las de cette prison qui n’offre rien de plus que les plaisirs sensuels et désireux de retrouver sa spiritualité, Tannhäuser quitte la déesse contre la volonté de cette dernière, afin de retourner dans sa campagne natale.  

Peu après son retour, Tannhäuser est déchiré entre son amour pur pour la belle Elisabeth et son amour lubrique pour la déesse Vénus. Lors d’une joute poétique où le vainqueur se verra offrir la main d’Elisabeth, Tannhäuser, alors possédé par la déesse Vénus, révèle son séjour dans sa prison. Dès lors, il est sommé par les chevaliers de Wartburg d’effectuer un pèlerinage pour rencontrer le pape afin d’expier ses péchés. 

Après le départ de Tannhäuser, le chevalier Wolfram, empli d’un amour pieux et chaste pour Elisabeth, pressent la mort imminente de la jeune femme et offre une prière poignante à l’étoile du soir (Abenstern) afin de la guider sur le chemin du paradis. Dans cette aria, on retrouve Vénus, l’étoile du soir, qui incarne la dualité entre l’amour charnel et l’amour pur, sujet phare de l’opéra. Elle est à la fois l’étoile qui brille dans la noirceur, porteuse d’espoir, et la déesse qui instille le péché et emprisonne les chevaliers envoûtés dans les profondeurs de sa montagne. 

Cet opéra au dénouement tragique, l’un des plus controversés de Richard Wagner, verra, envers et contre tous, le héros trouver son salut, par-delà la mort.   

Livret

Comme une prémonition de la mort, Dämm'rung couvre la terre
enveloppait la vallée avec un habit noir dense;
l'âme qui exige ces hauteurs, les craintes
avant leur vol de nuit et l'horreur
Depuis vous avez échoué nid, o art doux les étoiles,
votre douce lumière vous entsendest loin
l'nächt'ge Dämm'rung partage votre chère
faisceau et spectacle convivial vous la sortie de la vallée.
0 du mon étoile du soir gracieuse,
bien Bonjour 'Je vous ai toujours aimé ainsi;
du cœur, elle n'a jamais
trahis, ils vous accueillent en tirant sur,
quand monte la vallée la terre,
pour être un ange sel'ger là.

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Enregistré à la Salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal, 28-30 mars 2021 • Réalisation, prise de son, montage et matriçage : Pierre Léger • Direction artistique : Duo Cavatine • Production : STORKCLASSICS • Photographies : Tam Lan Truong • Conception graphique : Réjean Myette

Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.

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